that time of the month ✦ KYLE

Les matins sont orageux, les matins sont douloureux, mais rarement paresseux. Jamais pour Yoona.

Samedi. Huit heure vingt-et-un.
Putain, ça fait un mal de chien.

Non, pas les retombées d'alcool en train de lui marteler l'intérieur du crâne, ni le poids des trois maigres heures de sommeil qui lui tombent sous les yeux. C'est autre chose, plus organique. Une contraction logée au creux de ses entrailles, présage d'une mauvaise journée.

Les draps volent et les pieds claquent sur le stratifié, ils titubent jusqu'à la salle de bain. Elle sait ce qu'il se passe, Yoona. Tous les mois, c'est la même rengaine. Un réveil en douleur, une découverte sanguinolente, et des fait chier face à l'évidence : le retour de la putain de bénédiction de mère nature. Cette salope s'est encore invitée entre ses jambes. Sauf qu'elle est loin de lui faire prendre son pied. Bien au contraire. La vieille peau a enroulée une ceinture douloureuse autour de son ventre. Sans relâche, elle la poignarde, arrache des nausées à son organisme en supplice. C'est à croire qu'on veut la voir se vider par tous les trous.

C'est pliée par une crampe que Yoona se laisse tomber sur le carrelage. Son front contre la fraîcheur du sol, elle s'improvise fœtus le temps d'un instant, avant de partir à la recherche des protections salvatrices. Sous le lavabo, elle tâtonne, entre les rouleaux de papier toilettes vides et la moisissure. Sa main finie par s'écraser sur un plastique sans contenance. Bordel de merde. Le paquet est vide. Putain de bordel de merde ! La rage dans le geste, Yoona balance l'emballage au sol. Le plastique coloré si dépose mollement, indifférent. Même les déchets n'en ont rien à foutre d'elle.

L'adolescente doit se faire violence pour ne pas céder à son agonie et se trainer jusqu'à la supérette la plus proche. C'est vite dit. Y a rien de ce côté paumé, si ce n'est des maisons éparpillées, habitations résignées dans leur médiocrité. Ça, et la forêt. Malheureusement, les tampons, ça tombent pas des arbres. Alors elle marche. Le souffle gelé et des injures pleins les lèvres, elle pose un pied devant l'autre en maudissant sa condition féminine. C'est la faute à l'univers, c'est la faute à personne, elle s'en fout, tout le monde y passe. Dieu, Adam, Eve, Mère Nature, même Ronald Reagan. C'est toujours la faute à Reagan. Par principe.

Et ça n'en fini pas. Cette foutue route, et ces foutus maux. Mal à la tête. Mal au ventre. Mal au dos. La sainte trinité des douleurs menstruelles. Souris ma fille, tu es fertile. Ouais, c'est ça. Don de vie, mon cul. Plus qu'une quarantaine d'années à tirer.

Samedi. Onze heure quarante-sept.

Elle débarque à la supérette comme un putain de soldat américain sur une plage de Normandie : défoncé dans son calvaire, gelée, ensanglantée, mais surtout déterminée à en finir. Un panier au bras, son pas colérique foule le carrelage, la guide dans les méandres du magasin. Sa main attrape quelques produits au passage : une boite de céréale, du jus de fruit et des toasts. De quoi nourrir le troupeau le temps d'un petit-déjeuner. Ça, c'est sa couverture, ce qu'elle peut payer. En revanche, le paquet d'ibuprofène, lui, disparaît immédiatement dans la manche de son manteau. Ni vu, ni connu.

Enfin, la terre promise. Tempax, Always, Stayfree, Poise… Mur de couleur sous ses yeux, avalanche de produits. Ces marques aux prétentions poétiques vendent du rêve : celui de rendre le désagréable, agréable. Yoona veut bien y croire. L'indécise analyse les options. Oui, pour une fois, elle a envie de se laisser bercer par les promesses publicitaires, de s'en mettre pleins la tête jusqu'à oublier la torture de son utérus. Serviettes ou tampons, ça sera toujours plus confortable que les feuilles de papier toilettes qui lui servent de substitues. Sa main hésite, pour finalement jeter son dévolu sur un petit paquet de serviettes. Plus simple à dissimuler. Une œillade discrète à droite, à gauche, et ça recommence. Les gestes sont rapides, efficaces, usés par l'habitude. Elle qui semble poser son article dans son panier, le glisse en réalité dans son sac à main. Yoona sait ce qu'elle fait et pour cause : la gamine a des années de pratique derrière elle. L'adolescente a même pris la peine de mettre ses fringues les moins déglinguées, parce qu'une allure de clocharde, c'est évidemment suspect. Se faire passer pour une citoyenne de la classe moyenne, elle est là, la clef du succès.

Elle se retourne finalement, le visage vidé de toute culpabilité. Ses traits ne tardent cependant pas à se durcir. Y a un type en train de la fixer. Un employé. Merde. L'a-t-il vu ? Très certainement, pourtant, elle aurait juré être seule il y a moins d'une minute. Qu'importe. Elle n'en perd pas son assurance pour autant et se dirige vers lui le plus naturellement du monde : « Te gêne pas surtout, hein. » qu'elle lance une fois à sa hauteur, la voix écorchée d'agressivité. « J'enlève le haut pour $20 s'tu veux. Ça te plairait ? » Et pour illustrer ses propos, Yoona porte une main provocatrice à son pull qu'elle soulève légèrement, comme pour l'enlever. Puis, elle s'arrête. « Non ? Alors arrête de m'fixer. » L'attaque est gratuite. C'est bien le but. Déstabiliser, pour mieux s'en tirer. Là voilà déjà en train de repartir, après un dernier regard agacé.

( Pando & lilousilver )